LIKE A DREAM THAT VANISHES de Barbara Sternberg
2000, 16 mm, couleur, sonore, 41 min.

Transcription des dialogues de John Davis

Le miracle. La controverse sur le miracle initiée par Hume s’inscrit dans un débat qui aura duré une cinquantaine d’années. L’essai le plus connu reste celui que Hume a écrit sur les miracles. Rappelons que la question n’est pas tant celle de la réalité des miracles, à savoir s’ils se sont réellement produits ou non. Hume ne remet pas en cause l’existence des miracles. Ce qui est pour lui sujet à caution est le nombre insuffisant de preuves et de témoignages pour les attester.
Un miracle est un phénomène en lequel je crois et que je rapporte aux autres pour les convaincre de sa réalité. Hume ne le dit pas explicitement, mais un miracle repose non seulement sur la bonne foi d’un individu mais aussi sur le désir d’y croire. C’est sans doute ici que réside tout le problème : il faudrait que les lois de la nature soient assez solides pour accepter l’idée que l’une d’entre elles soit transgressée. Je ne suis pas sûr que nous connaissions suffisamment les lois de la nature pour être en mesure de dire que tel ou tel phénomène les viole, sauf dans certains cas évidents. Les exemples mentionnés par Hume, comme le bateau qui s’envole ou la plume qui s’élève dans les airs alors que le vent manque, ne sont pas les plus intéressants. Ce qui nous frappe vraiment est de voir par exemple un homme revenir à la vie ou un bras pousser à un endroit inattendu.
Dans le chapitre portant sur la religion naturelle, Hume parvient à une conclusion déiste. La conclusion déiste consiste à dire que Dieu existe, mais Hume l’énonce de telle façon qu’on comprend vite que ce n’est pas un dieu devant qui on se prosterne. Il est difficile de s’imaginer vouer un culte à un dieu déiste, à savoir un dieu qui aurait créé l’univers, mis en place les lois qui le régissent, puis qui se serait retiré et laissé les choses fonctionner toutes seules. Autrement dit, Hume ne croit pas en un dieu de bonté, de pitié et de compassion. Le dieu de Hume ressemble à un horloger, qui fait penser à l’horloge de la cathédrale de Strasbourg. Tous les jours, cette horloge fait défiler les apôtres et le reste, c’est vraiment un spectacle merveilleux, mais après on se demande ce qui s’est passé.
Certes, c’est un jeu de mot, mais je pense que cela va au-delà de ça. Quand on parle de jeu de mot, on se dit qu’il y a quelque chose d’un peu frivole ou de creux. Pourtant, je ne le crois pas. Je pense que nous nous sommes construits, grâce à l’art et aux mathématiques. Je crois aussi que l’homme est mû par le désir de trouver un sens à toutes les grandes questions qu’il se pose, et que la philosophie est un des moyens dont nous disposons pour essayer d’y apporter des réponses. Pourquoi sommes-nous ici ? A quoi ça sert ? Sur quoi nous fondons-nous ? Ces interrogations sont d’ordre philosophique. Toutes les sociétés sans exception se sont posé ces questions. Il n’existe aucune culture qui ne se soit pas construite avec ce désir de comprendre les énigmes de l’univers. A quoi ça sert ? Que faisons-nous ici ? On est plus ouverts aujourd’hui qu’il y a 25 ans. Quand j’ai commencé à étudier la philosophie sérieusement, la grande mode était aux positivistes. Tout le monde l’était plus ou moins. Si on ne ressentait pas une chose, on ne pouvait ni la sentir, ni la toucher, ni la goûter, et de ce fait elle ne signifiait rien. Nous commençons aujourd’hui à nous rendre compte que cette vision était un peu étriquée.

L’autre grand phénomène qui a eu une influence décisive sur les gens est le théorème de Gödel sur l’incomplétude. Ce savant a montré et prouvé que toute théorie mathématique est soit incomplète soit incohérente, et qu’elle ne peut se traduire en langage formalisé. L’espoir de résoudre les paradoxes sémantiques, comme celui du menteur crétois par exemple, est non seulement réduit à néant mais sa formulation même rend incohérent le désir de vouloir le résoudre. A l’époque où ce théorème a été énoncé, les gens ont été très ébranlés, mais nous le sommes moins aujourd’hui. Je me souviens du Professeur Quine qui en parlait comme d’un cataclysme pour la pensée, ne supportant pas l’idée qu’il puisse y avoir des contradictions dans les mathématiques. Aujourd’hui, pour ma génération et les générations à venir, qu’est-ce que ça peut faire ? Qu’est-ce qu’il y a de mal dans l’idée d’incohérence ? J’ai le sentiment que notre situation actuelle a plus d’affinités avec les questions de la philosophie ancienne. Tout commence avec l’étonnement, et je ne suis pas sûr qu’on puisse vraiment aller au-delà de cet étonnement initial ou qu’on ait même besoin d’aller au-delà. Le monde n’est pas un endroit bien ordonné. La nature non plus n’est pas très ordonnée. On a cru qu’ils l’étaient, alors qu’en fait tout ceci est assez chaotique.